EXPO-Rubens

Rubens, le copieur copié

Le musée BOZAR de Bruxelles propose actuellement un circuit de six étapes retraçant l’oeuvre sensationnelle – référence au titre de l’exposition – du maître flamand.

 

Pas d’étincelles dans l’art de Rubens avant qu’il ne parte en Italie. À Venise, Rome, entres autres, il est ébloui par la palette du Titien. À Mantoue, c’est la virtuosité de Michel Ange qui le ravit. Pendant huit ans, il copiera ses idoles. Féru de latin et de littérature classique, le peintre en herbe inclut la mythologie dans ses toiles. En souvenir de son long exil méditerranéen, ce « Homère de la peinture » décide de signer, dès son retour et jusqu’à la fin de ses jours, Pietro Paolo Rubens. Roi de la synthèse stylistique, Rubens a su influencer maints artistes. C’est ce qui ressort avant tout de l’exposition bruxelloise, son parcours hexapartite en perdant quelque crédibilité. Nombreux sont les émules, insoupçonnables pour certains, du peintre flamand. Van Gogh le découvre en scrutant La Pietà (1850), une composition d’Eugène Delacroix ouvertement inspirée du Christ à la paille (1865-1868). À en croire l’artiste hollandais, ce dernier triptyque ne transmettrait aucune émotion contrairement à son pendant français. Autrement dit, le romantisme de Delacroix surpasserait la virtuosité hypocrite – d’hypocritès signifie acteur en grec ancien – de Rubens. Un jugement qui remet en question le sous-titre de l’exposition. « Sensation et sensualité ». Sensation au sens d’impression ou d’ostentation ? Comment une œuvre peut-elle mériter l’adjectif de sensationnelle ? De la peinture sans sentiments, vraiment ?

rubens-4Venus Frigida, 1614

L’empire de la copie

En réponse à ces questions, le commissaire Nico Van Hout (du Musée Royal des Beaux-Arts d’Anvers) souligne la théâtralité de Rubens, peintre à sensations. « Je ne voulais pas parler de l’homme mais de ses œuvres. On le dit bon vivant, parfois colérique mais je ne voyais pas l’intérêt de ressasser ces clichés  ». À se concentrer sur la matière présentée, on en remarque la vitalité. Si la torsion des corps témoigne de notions poussées en anatomie, une sorte de fougue chromatique s’exprime à même la toile ou le bois. Face à cette exubérance, Rembrandt, qui revendiqua longtemps l’influence de Rubens, passe pour un introverti. La scène de chasse qu’il signe dans la première salle consacrée à la violence revêt un format et un dynamisme moindres. La même différence oppose Lucas Vosterman et Rembrandt, dont les Descente(s) de (la) Croix constituent un double écho au Christ à la paille de Rubens. Chez le premier, Jésus a un corps d’athlète, tandis que le second représente un homme brisé.

rubens-6Christ à la paille, 1618

En Angleterre, Rubens inspire à la fois admiration et aversion. Gainsborough et Turner, par exemple, faisaient preuve de la même ambivalence à son égard. Le tandem l’incendiait en public, tout en recyclant secrètement ses motifs. Sa Descente de la Croix (1766) se réclame elle aussi du Christ à la Paille. La dernière salle confronte un paysage de Turner à une composition rubénoise… Fils de paysan, amoureux de la terre, Constable est peut-être le seul à ne pas conspuer l’héritage de son ancêtre flamand. Pourquoi tant d’ingratitude en général, sachant que c’est un protégé de Rubens, Van Dyck, qui forma une lignée entière de peintres anglais ? Comment l’élève a-t-il d’ailleurs dépassé le maître, en Angleterre du moins ? Grâce à l’élégance conférée à ses modèles. À l’inverse, Rubens n’hésitait pas à utiliser de grossiers faire-valoir pour flatter son public. Une démarche qu’atteste Le Portrait de Maria Grimaldi et son nain (1606), par exemple.

rubens-1Le Portrait de Maria Grimaldi et son nain, 1606

Fuis moi je te suis…

D’autres rapprochements s’opèrent au fil de l’exposition ; le plus étonnant impliquant l’expressionniste Oskar Kokoschka. Estampillé dégénéré par le régime nazi, le peintre autrichien s’installe en Angleterre où l’accueil laisse, selon lui, à désirer. Adoubé par Charles Ier, Rubens entretient, au contraire, une relation privilégiée avec les Anglais. Pourtant, il semblerait que Kokoschka se soit appuyé sur l’une de ses gravures pour produire une satire picturale, Loderley. « La (Grande-)Bretagne ne régente plus les vagues, le marasme a trop duré, une pieuvre s’éloigne avec un trident, emblème du pouvoir marin. La Reine Victoria qui a propulsé la flotte anglaise en première position monte un requin. L’animal dévore les marins. Seule la grenouille refuse de subir le même destin : cette grenouille représente l’Irlande où il ne réside aucun reptile hormis des batraciens ».

Loreley 1941-2 by Oskar Kokoschka 1886-1980Oskar Kokoschka, Loreley, 1941-1942

Parlant grenouilles, on compte quelques Français parmi les suiveurs rubéniens. Émile Bernard, actuellement exposé à l’Orangerie, Pierre-Auguste Renoir, Paul Cézanne… Quant à l’ultime section, dédiée au thème de la poésie, elle présente Rubens comme le véritable père des fêtes galantes (Jardin de l’amour, 1633), genre dont l’invention revient traditionnellement à Antoine Watteau. Dessins et toiles se côtoient à foison pour appuyer la filiation franco-flamande. Parce que certains sont improbables, ces parallèles ne sauraient laisser de glace. Ainsi, en suscitant divers sentiments, de la curiosité au dégoût, en passant par la (com)passion – autre thème abordé -, Rubens parvient finalement, à faire sensation.

rubens-2Jardin de l’amour, 1633

 

« Rubens. Sensation et sensualité », du 25 septembre au 4 janvier 2015, au BOZAR, Bruxelles