EXPO-Turner

Qui peut encadrer Turner ?

Adrian Moore, l’encadreur officiel de l’exposition que consacre aujourd’hui la Tate Britain au peintre anglais.

 

À mi-parcours, une petite salle peinte en noir marque une pause entre les tableaux historiques et les marines à suivre. Dix toiles carrées y ont été réunies pour la première fois, cristallisant par là-même une sorte de mise en abyme. « An exhibition within an exhibition » est l’expression qu’emploient d’ailleurs les trois commissaires pour désigner cette surprenante antichambre. S’il s’agit bien d’une exposition au sein d’une autre exposition (traduction littérale de la formule ci-dessus), on se demande quel peut être le point commun entre les dix œuvres présentées. Leur format. À partir des années 1840, William Turner opte pour des cadres carrés renfermant des images au périmètre rectiligne, circulaire, ou encore octogonal.

turner-1Shade and Darkness – the Evening of the Deluge

 

La plupart forment des couples unis par les liens sacrés des années. Shade and Darkness – the Evening of the Deluge et Light and Colour (Goeth’s Theory) – the Morning after the Deluge – Moses Writing the Book of Genesis datent tous deux de 1843. Disposés côte à côte, The Angel Standing in the Sun et Undine Giving the Ring to Massaniello Fisherman of Naples ont été réalisés à quelques mois d’intervalle, dans le courant de l’année 1846. Il en va de même pour War : The Exile and the Rock Limpet et Peace – Burial at Sea. Quant au pendant du tableau A River Seen from a Hill (1856), il se trouve pour le moment entre les mains du Premier Ministre, au 10 Downing Street. En ce sens, le véritable électron libre du groupe s’avère Glaucus and Scylla (1841).

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Peace – Burial at Sea

 

Le seul car même Bacchus and Ariadne (1840) et Dawn of Christianity (1841) entretiennent une relation particulière. À l’origine, Turner aurait conféré le cadre du second à la première peinture. Or comme cette dernière ne se vendait pas, elle méritait a priori une enveloppe plus modeste. Cette enveloppe, rien ne prouve qu’elle fût destinée à une peinture circulaire. Les contours de la scène mythologique étant flous, l’intérieur du cadre qui lui était réservé aurait tout à fait pu être octogonal. La présence de tâches de peinture sur le cadre de substitution contredit toutefois cette assomption. À l’inverse, comme en témoignent deux gravures préparatoires, le couple Guerre et Paix a toujours été délimité par des octogones. Si Light and Colour (Goeth’s Theory) et Shade and Darkness font théoriquement la paire, il leur fallait de préférence un cadre identique. C’est pourquoi Adrian Moore a reproduit celui que la National Gallery avait d’office flanqué au second. Un indice ? La copie est beaucoup plus brillante que l’original qui souffre de craquelures visibles. « À quoi bon patiner un ornement sachant qu’il aura la même apparence que son modèle dans quelques années ? », conclue l’artisan qui, comme on dit en anglais, has made his point.

 

“Late Turner – Painting Set Free”, du 10 septembre au 25 janvier 2015, Tate Britain, Londres