EXPO-Tate

La Tate au carré

Aller à la Tate Britain voir l’exposition Turner, c’est bien. Coupler cette découverte avec une visite de la Tate Modern, où s’achève la rétrospective Malevitch, c’est encore mieux.

 

L’Eurostar, le train des stars. First et seconde confondues, là n’est pas la question. À la rapidité du check in se conjuguent l’amabilité du personnel de bord, un large choix de lectures… À voyager dans pareilles conditions, je vais finir par préférer le train à l’avion.

 

Dernier tournant pour Turner

Direction la Tate Britain où se prépare actuellement l’exposition « Late Turner » dédiée, comme son nom l’indique, aux dernières années du peintre anglais. Une foule de journalistes s’est déplacée pour l’occasion. Difficile de se frayer un chemin avec ma mini caméra. Au discours de Penelope Curtis (dans la boîte!), la directrice du musée, succède une présentation de la première salle par Sam Smiles, professeur d’histoire de l’art à l’université d’Exeter. Une salle introductive, à vocation synthétique. Et c’est bien là le problème ! Exposer les thèmes fondateurs du maître dans un même espace dilue le propos. Autrement dit, l’exposé de l’exposition tombe d’emblée – sans jeu de mots douteux – à plat. Quel est l’intérêt de confronter des marines à des toiles mythologiques ? Il ne s’agit pas d’un plan de dissertation ! Et si tel était le cas, quelle en serait la conclusion ? Mis bout à bout, le parcours se découpe en une première étape fourre-tout, quatre thèmes – le voyage, la continuité entre le présent et le passé, les cadres carrés, et les marines -, et en un condensé des dernières œuvres de Turner. Bravo pour la symétrie, zéro pour la clarté. À moins d’être un amateur de Turner.

Venice: Looking across the Lagoon at Sunset 1840 by Joseph Mallord William Turner 1775-1851Venice : Looking across the Lagoon at Sunset, 1840

À la lueur de cette lacune pédagogique, il reste à espérer que le néophytes apprécieront la beauté des toiles dévoilées car l’exposition repose entièrement sur la palette de l’artiste anglais. On ne peut reprocher à la Tate de pas avoir su mettre ses œuvres en valeur. L’alternance des fonds d’accrochage dénonce une réflexion approfondie sur la scénographie. Les murs bordeaux font ressortir des paysages contrastés, le gris souris se fond dans l’onde tumultueuse où le maître puisait fréquemment son inspiration. De même, le talent d’Adrian Moore, qui a veillé à l’harmonie des cadres, ne se dément pas. Sans compter les carnets de croquis attestant l’influence de Fragonard ou du Corrège. Dire que la Tate a su mettre SES œuvres en valeur, c’est bien peu dire. Malgré l’enchaînement des phrases précédentes, le possessif désigne davantage le musée que sa dernière égérie. Les aquarelles et les gouaches figurant Venise, la Suisse ou la France, The Opening of the Wallhalla (1843), Snow Storm – Steam-Boat off a Harbour’s Mouth (1842), les trois quarts des peintures carrées, Rain Clouds (1845), Sunrise, a castle on a Bay : Solitude… autant d’oeuvres appartenant aux collections de la Tate, un navire qui n’est pas prêt de couler.

Approach to Venice, engraved by Armytage published 1859-61 by Joseph Mallord William Turner 1775-1851Approach to Venice, engraved by Armytage, 1859-1861

 

Malevitch à vif

Parlant bateau, s’ensuit une traversée sur la Tamise à bord de la navette reliant la « Britain » à la « Modern ». Dans le vaste hall de cette dernière, à côté des vestiaires, se dresse la maquette d’un nouveau projet architectural. L’institution londonienne n’a donc pas fini de s’agrandir. L’exposition “Malevich” (en vertu de la translitération internationale, le son “tch” donne “ch”), qui touche à sa fin, repose au deuxième étage. Un parangon d’équilibre. La crainte d’être submergé par onze salles combles de tableaux est immédiatement compensée par un sentiment d’espace. Loin d’être entassées, les œuvres cohabitent en petit comité dans de larges surfaces immaculées. On suit un axe 100% chronologique. Pour une fois, c’est reposant.

malevich-2Autoportrait, 1908-10

Cette intelligibilité n’est pourtant pas sans faille. On aurait bien voulu, par exemple, que les légendes en russe et, dans la salle 9, en allemand, soient traduites. Et quand on pratique ces deux langues, c’est l’écriture en pattes de mouche de Kasimir Malevitch (orthographe française) que l’on aurait aimé se voir déchiffrer. Un détail face à l’exhaustivité de l’ensemble. Que retient-on en sortant ? Qu’à ses débuts Malevitch admirait grandement Monet ; que, fier de ses origines, il mettait un point honneur à représenter campagne et paysans russes ; que le Manifeste du Futurisme de Filippo Marinetti (1909) l’incita à brouiller de plus en plus les frontières entre le figuratif et l’abstrait ; qu’il enseigna quelque temps aux côtés de Marc Chagall à Vitebsk, avant de fédérer ses émules sous le nom d’UNOVIS ; que le carré noir sur fond blanc est devenu son emblème à partir des années 1920 ; qu’il est le père du suprématisme, mouvement d’art contemporain russe confinant au mysticisme ; que le diktat du Réalisme socialisme, sous Staline, l’obligea à renouer, à contre cœur, avec la figuration… La mémoire est sélective : sûrement auriez-vous retenu, pour ne pas dire appris, autre chose.

malevich-1Suprématisme, 1915

 

« Late Turner – Painting Set Free », du 10 septembre au 25 janvier 2015, Tate Britain, Londres

 

« Malevich », du 16 July au 26 October 2014, tate Modern, Londres

 

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