EXPOS-Carpeaux

Carpeaux dans la peau

À l’occasion de son exposition estivale consacrée à Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875), le musée d’Orsay tapisse le fond de sa nef d’une moquette grise. Assortie aux sculptures dévoilées.

 

C’est la première rétrospective dédiée à l’œuvre de l’artiste français (1827-1875), depuis celle montée, en 1975, aux Galeries Nationales du Grand Palais. Elle s’articule autour de quatre-vingt-cinq sculptures, une vingtaine de peintures et une soixantaine de dessins, eux-mêmes répartis entre dix sections. Son point fort ? L’espace éducatif présentant, entre l’entrée et la sortie, trois reproductions légendées en brail ! Les seules pièces que le public soit autorisé à toucher. Une approche tactile qui introduit le reste de la matière à contempler.

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Carpeaux à fleur de peau

Outre quelques croquis, l’exposition du musée d’Orsay s’ouvre sur le Triomphe de Flore, ou Flore (1866), commande pour le Louvre de Napoléon III, en partie inspirée des allégories du Jour et de la Nuit exécutées par Michel-Ange à Florence. Flore, Florence… Si la sensibilité de Carpeaux s’exprime dans un cadre bucolique, il en va de même pour Jean-Antoine Watteau (1684-1721). Tous deux sont nés à Valenciennes. D’où le monument que ladite ville réclame à Carpeaux en l’honneur du père des fêtes galantes, un genre peuplé de jeunes filles dansant. Lui aussi fasciné par la danse, Carpeaux tire plusieurs tableaux d’un bal masqué donné aux Tuileries en 1867. On lui doit également et surtout La Danse, ronde de bacchantes destinée à la façade de l’Opéra Garnier.

IMG_2352Études au crayon et à la pierre noire

L’intérêt du sculpteur pour le cinquième art découle en réalité de son attention aux corps en mouvement. En effet, rares sont les animaux ou les motifs architecturaux parmi les silhouettes rythmant le parcours d’Orsay. Des silhouettes dont l’anatomie se voit restituée avec une précision hors du commun. Un naturalisme insidieux. Si les modèles n’étaient ni marbre ni de plâtre, l’impression d’un contact charnel dominerait. Seul un artiste passionné peut revendiquer pareille illusion.

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 Le Triomphe de Flore

 

La passion selon Jean-Baptiste

(É)mû par la grâce féminine et religieuse, Jean-Baptiste Carpeaux entre au service de l’Empereur, en 1862. Séduite par le regard que l’artiste jette sur le sexe dit faible, l’Impératrice Eugénie acquiert deux de ses marbres, le Pêcheur à la coquille et la Jeune fille à la coquille. Davantage par gratitude que par diplomatie, le sculpteur prête à la Vierge Marie ainsi qu’à Notre-Dame du Saint-Cordon le visage de sa protectrice. Nombreuses sont les piétas, croix et déplorations accusant d’ailleurs son mysticisme, un mysticisme hérité des maîtres italiens et flamands, tels Michel-Ange ou Rembrandt.

IMG_2351Ugolin

Si la danse, la foi, ou encore la beauté de la femme évoquent une certaine luminosité, l’oeuvre de Carpeaux n’en demeure pas moins marquée par ce qu’Orsay nomme une « part d’ombre ». Comme si ce fils de dentellière et de maçon souffrait d’une dualité innée. « Plus vivant que la vie », ainsi que le qualifiait Alexandre Dumas, Carpeaux était connu pour ses sautes d’humeurs. Déjà à la Villa Médicis, dont il devient pensionnaire en 1856, dérogeait-il ouvertement aux règles. Ses sujets eux-mêmes ne sont pas dépourvus de violence. Parmi les réalisations ayant contribué à son succès, Ugolin, alias Ugolino della Gherardesca (cf. Chant XXXIII de l’Enfer de Dante), tyran de Pise emmuré vivant avec sa descendance, sur ordre de son grand ennemi, l’archevêque Ruggiero Ubaldini. Le condamné finit par mourir de faim après avoir dévoré un à un ses fils et petits-fils. Une histoire à la mesure des pulsions de l’artiste. Consumé par la jalousie, il n’a de cesse d’accuser Amélie de Montfort, son épouse et modèle préféré, d’adultère. Quel génie n’a pourtant mauvais caractère ? IMG_2344

La Danse

 

« Jean-Baptiste Carpeaux, un sculpteur pour l’Empire », du 24 juin au 28 septembre, Musée d’Orsay, Paris

 

À LIRE AUSSI  : “Jean-Baptiste Carpeaux. L’homme qui faisait danser les pierres”, de Michel Poletti, éd. Gourcuff Gradenigo, 2012, 192 p.