EXPO-Warhol

Warhol sans bémol

Un mois que je couve cet article ! L’actualité artistique battant son plein d’œuvres, et non d’œufs, je le ponds seulement maintenant, alors que l’exposition du Musée d’art Moderne s’avère l’une des plus savoureuses de la rentrée.

 

Pas un couac dans le projet servi au 11, avenue du Président Wilson. Son titre, Warhol Unlimited, renvoie tant à la démarche obsessionnelle d’Andy Warhol, le roi de la sérigraphie, qu’à l’ampleur du marché qu’il représente. Une vingtaine d’expositions par an lui est consacrée dans le monde entier. C’est pourquoi les co-commissaires Sébastien Gokalpet et Hervé Vanel tenaient coûte que coûte à éviter l’angle rétrospectif. Mission accomplie, grâce à un prêt exceptionnel de la Dia Foundation. Venue pour la première des États-Unis, la série Shadows évoque une forme de mégalomanie, une esthétique de l’itération et un dynamisme, qui caractérisent tous autant le pape incontesté du Pop Art.

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Dans l’ombre de Warhol

Dans la première salle, un autoportrait. Quoi de plus logique d’ouvrir l’exposition sur son sujet, pour ne pas dire objet d’étude ? En effet, la présence de quelques boîtes de soupe Campbell (1962), dont la majorité repose actuellement au MoMA, en face, participe presque à une personnification, à moins que l’approche de Warhol ne tende, au contraire, à une réification. Animés, inanimés, ses modèles, quels qu’ils soient, méritent d’être démultipliés, en théorie, à l’infini. Pourtant, aucune réplique ne se ressemble ; chacune se distingue par sa palette, sa matière… Les traces d’écoulement de peinture, les morceaux de toile déchirée sont autant d’ « accidents de surface » auxquels Warhol aspirait. « J’essaie de faire les choses très mal, mais très bien », prétendait-il. Ce paradoxe est d’autant plus étonnant de la part d’un dandy à perruque qui passait son temps à essayer de maquiller ses défauts.

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Parmi les motifs warholiens, on retrouve, dès la troisième salle, les chaises électriques (1963), images funestes dont l’artiste imposa au Whitney de les plaquer sur un papier peint jaune, constellé de vaches mauves. Pourquoi avoir reconstitué cet accrochage ? Pour montrer que le génie de Warhol s’étendait au domaine de la mise en scène. La combinaison d’un thème aussi violent que la peine de mort avec un fond trivial relève clairement de la provocation, une parmi tant d’autres. De même, les commissaires ont reproduit l’imprimé mural qui soutenait la série de portraits dédiée à Mao, en 1973. Dans la section intermédiaire, réservée aux fleurs, le parallèle entre l’activité de peintre et de scénographe saute aux yeux. Warhol débordait souvent des contours, ainsi que du cadre institutionnel. Libérer la couleur du carcan pictural traditionnel lui procurait autant de joie que déstabiliser le personnel d’un musée. Produits d’une pensée en perpétuel mouvement, ses audaces sauvent le public d’une contemplation statique.

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Ça tourne !

Quoi de plus mobile que le septième art ? En 1965, Andy Warhol décrète se retirer de la scène picturale, afin de se consacrer exclusivement au cinéma (de κίνησις, en grec ancien, le mouvement). Au-delà des premières marches, dans le hall d’entrée, se voit projeté Kiss (1963), film muet qui montre une succession de couples en train de s’embrasser, pendant une petite heure. Une dizaine d’écrans animés des traits de Niki de Saint Phalle, DeVeren Bookwalter, Mario Montez marque la deuxième étape du parcours. Au-delà de l’espace bucolique susmentionné, on tombe dans une pièce circulaire rythmée par les images et la bande-son d’un clip réalisé par le Pop artiste pour le groupe The Velvet Underground.

« C’est plus simple d’appuyer sur un bouton ». Ainsi Warhol justifiait sa fascination pour la caméra. Fausse paresse. Contrairement à ses déclarations, il ne renonça toutefois jamais au dessin. L’apologie du mouvement, et de la liberté qui en découle, atteint son paroxysme dans une pièce peuplée de ballons argent gonflés à l’hélium. Grâce au soutien de l’agent de la sécurité, le commissaire Hervé Vanel a obtenu le maintien de cette installation, tandis que la direction du musée craignait, elle, de voir les coussins volants flirter avec des toiles. S’ensuit Empire, plan fixe de l’Empire State Building depuis le coucher du soleil jusqu’à la tombée complète de la nuit, dont le but est de déjouer la contemplation du spectateur par un manque évident de contenu.

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Les ombres de Warhol

De même, l’accrochage de Shadows, réservé, tel le meilleur, pour la fin, plonge les visiteurs dans une dynamique particulière et ce, malgré son statisme apparent. Cet ensemble de cent deux toiles déclinées dans dix-sept tons différents se déroule sur les dernières cimaises de l’exposition, à l’instar d’une pellicule de film. Vouée à être examinée panneau par panneau, cette œuvre synthèse se balaye, dans un premier temps, du regard. Comment monter une installation aussi monumentale ? « Nous avons décidé d’accrocher les toiles au fil du déballage ; ce qui nous a pris quatre jours. Il nous aurait fallu des semaines pour déterminer quelle couleur rattacher à une autre ». Pourquoi cent deux ? À l’origine, Warhol avait conçu cent huit séquences. Son commanditaire en a exclu six. De toute façon, ainsi que l’affirme Hervé Vanel, il est peu probable que les visiteurs s’amusent à dénombrer les ombres juxtaposées. Sur ce, en avant, marche !

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“Warhol unlimited”, jusqu’au 7 février. Musée d’art moderne de la Ville de Paris