EXPOS-Unicorne

Unicorne unisexe

Du latin unicornis, is, la licorne est une créature mythique munie d’une longue corne sur le front. Selon la linguiste Henriette Walter, le terme découle d’une erreur de prononciation, d’aucuns interprétant le préfixe « uni- » comme le déterminant indéfini élidé devant une voyelle. Si bien qu’à « une icorne » on opposait « l’icorne ». Pourtant, en conservant la forme définie, le français moderne n’a en pas trahi l’idée d’UNIcité que l’on prête à cet animal tant légendaire que célibataire. L’a-t-on en effet, jamais vu en couple ?

À ce propos, le mot licorne désigne-t-il un cheval ou une jument ? Symbole de virginité dans l’héraldique médiévale, son attribut phallique revêt pourtant une connotation puissamment érotique. D’un point de vue morphologique, le français fait figure d’exception puisque le terme est resté, de même qu’en grec ancien – μονόκερως, εος – masculin, ou neutre, comme en anglais – unicorn – dans la plupart des langues indo-européennes.

Cette ambivalence transparaît nettement dans “La Dame à la Licorne”, où l’animal est figuré sous des traits plus ou moins virils. Parmi les six tentures composant cet ensemble de tapisseries, “À mon seul désir” demeure la plus équivoque. Non seulement elle se distingue par la marginalité de son thème – face aux cinq sens représentés -, mais aussi parce que la licorne y arbore un air satisfait comme si son désir animal s’accomplissait dans la proximité entrenue avec la Dame dont elle porte les armoiries. Plus petite, plus délicate, dans “Le toucher”, le sens le plus matériel de la série, elle dégage une grâce sans pareil dans “L’odorat” et “La vue”, alors que sa face applatie dans “L’ouïe” lui vaut le qualificatif de “ratée” dans la bouche de Elisabeth Taburet-Delahay, la directrice du Musée de Cluny. Le regard félin dans “Le goût”, enfin, elle sert de pendant au lion rugissant.

Certes, les expressions ne suffisent pas à déterminer un genre, pourtant un élément empêche de soulever entièrement l’ambiguité, la barbiche qui pend au menton de la créature immaculée.

Réflexion inspirée du retour, le 21 décembre 2013, de la série médiévale dans la rotonde – aujourd’hui rectangulaire – du musée de Cluny, après une longue restauration au Japon.