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Durand-Ruel de Paris à Londres

Dans cet extrait, le conservateur de la National Gallery Christopher Riopelle souligne la singularité de l’exposition “Inventing Impressionism” laquelle succède à “Paul Durand-Ruel, le pari de l’impressionnisme” (du 9 octobre au 8 février, au Musée du Luxembourg, à Paris). Si la scène londonienne a été mise en avant – cela va de soi -, le parcours se veut plus chronologique que thématique. C’est pourquoi, par exemple, Danse à Bougival a été séparée de Danse à la ville et Danse à la campagne, présentées comme un triptyque, en France.

“Inventing Impressionism”, du 4 mars au 31 mars, National Gallery, Londres

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L’impressionnisme et les Américains

MEs MOts d’expos : Pourriez vous nous expliquer pourquoi les Américains aiment autant l’impressionnisme ?

Gloria Groom : De deux choses l’une. Chicago découvre l’impressionnisme dans les années 1890. Notre première grande collection nous est parvenue en 1922. En 1895, Monet était déjà exposé ici. Il nous semblait familier parce que les personnes qui faisaient l’actualité alors n’étaient autres que de grands collectionneurs. Pas de Bouguereau contre Monet. À plus grande échelle, personne ne possédait, chez lui, de peintures académiques. Nous n’avions pas de repères pour déterminer une façon de peindre plus qu’une autre. Les grands magnats de Chicago n’avaient pas les armes pour distinguer un bon tableau d’un mauvais tableau. Ils visaient la modernité. Or, la modernité à l’époque ,c’était les paysages du Parmesan, des impressionnistes et plus largement du XXe siècle.

MME : Chaque fois que je parle d’art aux États-Unis, la première réflexion qui survient touche l’impressionnisme. Pourquoi ?

G. G. : Je pense que c’est surtout parce que nous ne sommes pas un pays catholique. Voir des madones et saints ne présente à priori aucun intérêt. Et puis, nous n’avons pas d’églises à vitraux… Nous sommes un pays rural, tout comme la France… Et la manièredont les paysages impressionnismes étaient peints n’était pas difficile à lire parce que, encore une fois, nous n’avons pas de tradition Renaissance favorisant la définition d’un style, d’une méthode à suivre. Aujourd’hui, l’impressionnisme est synonyme de loisir. À l’inverse, les personnages représentés par l’école de Barbizon travaillent. Quand ils ont le loisir d’aller au musée, les gens ont envie de voir des toiles évoquant précisément un loisir.

MME : D’où le rapport avec la mode que vous avez tissé, il y a deux ans, avec l’exposition « L’impressionnisme et la mode ».

G. G. : Tout à fait, mais c’était surtout à propos de Paris, son état d’esprit, le fait que les grand boulevards parisiens se prêtent à des défilés… Ainsi, la mode est devenue un sujet de peinture. Il en va de même aux États-Unis. Et les Américains adorent le portrait que brossent les films de Paris. Woody Allen lui rend souvent hommage dans ses longs-métrages. Le familier ne suscite pas le mépris mais le besoin d’en savoir plus. Parce que les gens pensent connaître la vie de Monet, ils se sentent plus proches de lui. 30 ans que je monte des expositions liées à l’impressionnisme. Chacune offre quelque chose de nouveau à découvrir. Les visiteurs, loin de s’ennuyer se réjouissent toujours d’apprendre quelque chose de neuf.

MME : Vous dites que les Américains connaissent bien la vie des impressionnistes. Justement, comme cela se fait-il ?

G. G. : À mon avis, c’est parce que notre époque coïncide avec la leur. (Monet meurt en 1926). Certains directeurs de musées ont vécu en leur temps. Renoir disparaît en 1919, et Degas deux ans plus tôt. Ces sommets sont encore vivants dans notre esprit. On a vraiment l’impression que Monet était là il y a quelques minutes. Dans son cas, aller à Giverny donne des frissons. Ce genre d’expérience alimente le sentiment de connaître intimement un artiste.

MME : Sans compter que les États-Unis sont relativement jeunes.

G. G. : Nous sommes un pays jeune, un pays moderne. Sans cathédrales. C’est pourquoi nous allons en Écosse et partout en Europe ! Parce que nous voulons voir des cathédrales et des châteaux. Ceux que nous avons s’inspirent de monuments français et allemands. Heureusement, nous avons notre propre héritage architectural, surtout à Chicago.

MME : Pourquoi vous être spécialisée dans l’impressionnisme ?

G. G. : C’est moins l’impressionnisme qui m’intéresse que le XIXe siècle, en général, le siècle du changement, à l’origine de ce que nous sommes, de ce que nous avons aujourd’hui. Mon mémoire porte sur Corot ; et ma thèse, Vuillard. L’impressionnisme n’est donc mon sujet de prédilection qu’à l’Art Institute où j’ai énormément appris et continue d’apprendre.

 

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