Sans titre

Monumenta ou le flop monumental

Le flop, parce qu’on se croirait dans un désert portuaire, et que le dispositif de Huang Yong Ping est lourd, aux sens propre et figuré.

Le Grand Palais est en travaux ? C’est la première idée qui émerge face aux conteneurs postés dès l’entrée. « On n’y voit rien ». Le titre de feu l’historien de l’art Daniel Arasse convient. Passé le premier virage, à droite, on adopte un point de vue longitudinal qui ne change rien à l’impression originale : on nage en plein cauchemar !

L’installation que propose Huang Yong Ping, cette année, consiste en huit « îlots » (angulaires) survolés par le squelette d’un serpent géant (254 m de longueur). Le chiffre huit symbolise la totalité de l’univers en Chine. Au milieu, un bicorne napoléonien de plus de trois tonnes. Cette réplique en résine, métal et goudron évoque l’ambition et le pouvoir, considérés par l’artiste comme l’un des moteurs de l’évolution.

La disproportion de ces éléments souligne certes la dimension onirique de l’œuvre, mais aussi les contradictions qu’elle renferme. CMA CGM, le troisième groupe mondial de transport maritime et le numéro français, est partenaire de Monumenta2016. À quoi bon s’appuyer sur les acteurs de la mondialisation pour dénoncer la mondialisation ? On comprend pourquoi le serpent de Huang Yong Ping tend à se mordre la queue. Attention ! Le peu de cartels présents (il faut laisser parler le décor, n’est-ce pas ?) s’accordent à nier toute intention critique : ce sont des pistes de réflexion, et non des piques, qui sont ici lancées. Admettons. Dans ce cas, pourquoi l’atmosphère créée est-elle si dysphorique ?

Quel que soit le sens de cette œuvre, elle est hideuse. Tel est l’écho répété en boucle sous la nef du Grand Palais. « C’est moche ! » « C’est laid ! » « Tu comprends, toi ? » Là où le dossier de presse vante une mosaïque de couleurs, on voit un chaos sans fin et sans fond. Il est là le hic. Les uns se projettent dans une décharge peuplée d’une carcasse et d’un vieux chapeau. Ceux qui se complaisent dans une vision maritime semblent plus proches de la vérité, puisque le plasticien naturalisé français est né dans une ville portuaire du sud de la Chine. Peut-être ce Jurassic Park apocalyptique aurait-il été plus attractif en plein air ? Non, l’épine dorsale du reptile ne sert pas de toboggan. Elle se compose de 316 vertèbres et 568 côtes aux accents carcéraux. Let us out !

Il faut atteindre la sortie pour trouver un angle intéressant. Les courbes du squelette épousent enfin l’architecture du Grand Palais. Les arêtes du monstre décharné sont parallèles à celle du bâtiment. Dans ce paysage relativement harmonieux, la gueule béante du serpent paraît prête à dévorer le couvre-chef de l’empereur disparu. C’est d’ailleurs à cet endroit précis que se tient le commissaire d’exposition. Jean de Loisy ! Celui-là même qui vient d’inviter l’atrabilaire Houellebecq au Palais de Tokyo. L’un des responsables d’ « Une brève histoire de l’avenir », exposition inspirée d’un essai des plus pessimistes de Jacques Attali. Exit les Bisounours ! Sauve qui peut dans cette course aux rabat-joies !