EXPO-Oulipo

L’OuMemoPo

À l’occasion de l’exposition que consacre actuellement la BnF à l’OuLiPo, au sein de la Bibliothèque de l’Arsenal, MEs MOts d’expos s’est aussi imposé quelques contraintes pour rédiger sa critique.

 

« L’OuLiPo. La littérature en jeu(x) » pourrait admettre le sous-titre de « L’art en je(s) » (à supposer que le pronom veuille bien s’accorder), non seulement parce qu’il n’y est pas uniquement question de littérature, mais aussi parce que le sujet de l’exposition est pluriel. De même que les oulipiens invitaient les lecteurs à la réflexion, en forgeant des textes difficiles d’accès, le parcours de l’Arsenal se veut « participatif », dixit la co-commissaire Camille Bloomfield. Sous-tendue par des contraintes poétiques, pour ne pas dire poïétiques (dérivé du verbe faire, ποῖειν en grec ancien, l’adjectif s’en réfère moins au rendu qu’au processus de fabrication d’un poème), la bibliothèque oulipienne ressemble à un véritable casse-tête dont on pourrait passer sa vie entière à chercher la ou les solution(s). Parmi les figures de style qu’employait le groupe, on compte l’homophonie dont Paul Braffort (coopté à l’unanimité en mars 1961) donne une définition en décomposant le terme même, l’ « homme aux faux nids ». Plus exigeant en tant qu’ils s’appliquent à un ensemble de phrases, les lipogrammes (de λείπω, laisser et γρἀμμα, lettre en grec ancien) consistent à renoncer à l’utilisation d’une lettre dans un texte. Le meilleur exemple de ce procédé demeure « La Disparition », un roman de Georges Perec marqué par l’inutilisation rigoureuse de la lettre « e ». Cet ouvrage référence est exposé en regard d’un recueil de Salomon Certon, (1620) soumettant, tour à tour, les caractères de l’alphabet à l’épreuve de la suppression. Ce rapprochement illustre le concept de « plagiaires par anticipation », expression renvoyant aux poètes qui, avant l’OuLiPo, s’appuyaient sur des contraintes littéraires. 

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De même, les commissaires de l’exposition se sont amusées – car il est bien question de « jeu » – à composer des formules, des énigmes, rien que pour exhorter le visiteur à les résoudre. Si l’anagramme (du grec ανά, « en arrière », et γράμμα, « lettre », désigne un mot dont les lettres, en changeant d’ordre, peuvent donner un ou plusieurs autres termes) ouvre le bal des exercices de style, le poème « boule de neige » appelle également à l’intervention du spectateur. Le principe est simple : il suffit de superposer des barrettes de bois dans l’ordre croissant de taille, cette dernière variant selon le nombre de lettres gravées sur ces espèces de LEGO pour adultes. Deux solutions au choix. « À vous de jouer », encouragent les bannières latérales. Autre principe créateur de l’OuLiPo : la théorie des graphes favorisant la conception d’intrigues combinatoires. Les auteurs de polars y recourent fréquemment afin d’offrir à leur lectorat un large choix de fins. Autrement dit :

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Vous l’aurez compris l’OuLiPo comptait quelques mathématiciens parmi ses membres. Par conséquent, pourquoi ne pas rassembler notre propos dans un tableau, sur le modèle de la classification trônant dans la salle centrale ? 

  Livres Musées Journaux
Initiateur Oulipien Commissaire Rédacteur
Initié Lecteur α Visiteur Lecteur λ

  

D’un côté, il y a les écrivains, les oulipiens qui ouvrent leur œuvre à l’interprétation d’autrui ; de l’autre, les conservateurs de l’Arsenal qui incitent les visiteurs à manipuler les installations greffées au pied de chaque vitrine. Et au bout de la chaîne inventive, le pauvre journaliste qui tente tant bien que mal de restituer l’esprit d’un mouvement et la qualité d’un événement qui lui est actuellement dédié. 

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L’approximation de son rapport ne l’empêche pourtant pas de se poser des questions : l’exposition est gratuite et pourtant, la qualité des matériaux utilisés, la création d’installations multi-média, ont dû engendrer des dépenses conséquentes qu’une billetterie aurait pu compenser. « Les fonds viennent des caisses de la BnF », nous explique-t-on au vestiaire. Interrogation oiseuse. On se nourrit de l’oisiveté ambiante. Libre comme un oiseau, nous nous sommes, nous aussi fixé, quelques règles car pas de souplesse sans rigueur, de liberté sans contrainte, n’est-ce pas ?

L’OuLiPo au repos

Riposte gracieuse au dépôt

En 2006, sans pipeau,

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Saouls des bons mots sous la peau.

Ivre de livres, l’esprit en pot

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En un pot-nourri à propos

« L’OuLiPo. La littérature en jeu(x), du 18 novembre au 5 février 2015, Bibliothèque de l’Arsenal (BnF), Paris.