SOCIO-Sagrada

L’art à l’écran #3

La Sagrada Familia ou le chantier infini

 

Produit en 2012, « Gaudi, le mystère de la Sagrada Familia » s’avère presque aussi obscur que les salles parisiennes où il passe depuis près d’un mois. Décevant.

 

En termes d’architecture, Barcelone rime avec Antonio Gaudi (1852-1926), le père de la célèbre Sagrada Familia. Débuté en 1882, le chantier de cette cathédrale mythique demeure inachevé. Pourquoi ? C’est la question qui se pose dès le début de “Gaudi, le mystère de la Sagrada Familia”, sans jamais trouver de réponse. Une aporie qui, si elle souligne le caractère pédagogique de ce documentaire signé Stefan Haupt, donne lieu à quelques maladresses techniques et narratives.

 

Un exposé clair

Que retenir d’Antonio Gaudi ? Né en 1852, il souffre très jeune de rhumatismes qui accusent sa solitude et sa fibre artistique. Mauvais élève pourtant doué en dessin, il part étudier l’architecture à Barcelone à l’âge de dix-sept ans, avant de poursuivre la construction du temple expiatoire de la Saint Famille, débutée par Francesco del Villar à la demande des dévots de Saint-Joseph. Enfin, « il n’était ni franc-maçon, ni drogué », insiste le Père Luis Bonet en réponse aux rumeurs faisant de l’architecte catalan un fervent consommateur de champignons hallucinogènes. Tout cela, le film l’explique bien.

Il en va de même des étapes marquant l’édification du monument le plus populaire de Barcelone. Que devraient savoir ses 3 millions de visiteurs annuels ? Que sa première pierre fut posée le 19 mars 1882 ; sa construction,  interrompue durant la guerre civile de 1936 ; qu’à cette occasion documents, maquettes et archives furent détruits par Franco ; et qu’en 1939, une pétition forte de cent signatures, dont celle du Corbusier, s’opposa à la reprise des travaux, prônant la transformation de l’œuvre de Gaudi en musée.

Quant aux témoignages, ils révèlent un net clivage entre les fidèles et les rebelles, les héritiers du génie catalan et ses successeurs les moins soumis. Si l’architecte Etsuro Sotoo avoue s’être converti au catholicisme pour tenter d’assimiler la pensée et le style dit « organique » de son prédécesseur, Josep Maria Subirachs déclenche, de son côté, un tollé en ornant la Façade de la Passion d’un Christ angulaire et surtout nu. Aux divergences de goût s’ajoutent de nouveaux obstacles urbains. Le projet d’une ligne Barcelone-Paris compromettrait l’avenir de la Sagrada Familia. Compromettrait ? Le TGV en question n’a-t-il pas été inauguré cette année ? Précisément. Or, cet anachronisme n’est pas le seul bémol en cause.

 

Des interludes inutiles

Parlant bémol, les interludes musicaux non seulement sonnent faux, mais, ce faisant, diluent le propos. Les scènes montrant un acteur au visage angélique – dont on suppose qu’il incarne le fantôme de Gaudi – monter et descendre les escaliers de la Sagrada Familia sont tout simplement ridicules. Autant cadrer la cathédrale à l’état brut. De même, les plans fixes sur les rues et les touristes de Barcelone n’apportent rien. Que viennent faire des supporters de foot au milieu d’une séquence consacrée à la visite du Pape ? Enfin Jordi Savall a beau être Jordi Savall, c’est-à-dire un musicien catalan mondialement connu, il ne mérite aucun gros plan. On se doute bien qu’il dirige l’orchestre interprétant la bande-son. Nul besoin de le filmer en pleine action.

Pourquoi tant de remplissage ? Parce que, au delà d’une piqûre de rappel historique – pour ne pas dire scolaire -, le film ne nous apprend pas grand chose. Le chantier de la Sagrada Familia est loin d’être terminé. Mais encore ? “L’éternité n’est pas un temps infini, mais un instant où le temps suspend son vol”, prêche la voix-off. Ah ! Il faut croire que les architectes font exprès de ne pas conclure leur travail ? C’était donc ça, la véritable question à poser.