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L’art à deux, c’est mieux

Qu’il s’agisse d’amitié, d’amour ou de complicité intellectuelle, le processus artistique se nourrit du lien à l’autre. La preuve en trois expositions.

“Parce que c’était lui, parce que c’était moi.” L’amitié est une notion qui remonte à l’Antiquité. Si les Stoïciens la voient comme un but en soi, une valeur universelle, chez les Épicuriens, ce n’est qu’un moyen d’atteindre au bonheur individuel. Dans son Éthique à Nicomaque, Aristote la rattache tantôt à la vertu, tantôt au plaisir ou encore à l’utile. Qu’elle soit fusionnelle, intéressée, tacite, un trait d’union entre deux entités ou plus, l’amitié oscille toujours entre divers états, de l’amour à la jalousie, en passant par la bienveillance pure. Dans tous les cas, il s’agit d’un sentiment porteur et moteur dans le domaine de l’art. Pour preuve, les expositions en cours à l’Orangerie, la BnF et au musée des beaux-arts de Lyon qui confrontent respectivement les oeuvres de Frida Kahlo et Diego Rivera, Albert Uderzo et René Goscinny, et Joseph Cornell et certains surréalistes.

Joseph Cornell et les surréalistes : une amitié artistique.

Si l’on entend par amitié une relation qu’entretiennent plusieurs individus animés par une même cause, alors cette acception vaut pour Joseph Cornell et les acteurs du surréalisme. L’exposition proposée par le musée des beaux-arts de Lyon – la première rétrospective française depuis celle du MoMA, en 1981 – a beau tisser des correspondances entre cet adepte du collage et les figures majeures du courant théorisé par Breton en 1924, elle ne les circonscrit pas moins à un cadre professionnel. La période de 1930-1950 – années de maturité de l’artiste – n’a pas été choisie au hasard, puisqu’elle coïncide avec l’expansion du surréalisme aux États-Unis. C’est à cette époque que Salvador Dalí, Marcel Duchamp, Max Ernst et Man Ray, entre autres, s’installent à New York pour fuir la guerre. L’occasion d’exercer leur influence sur Cornell. Séduit par le roman-collage de Max Ernst La femme 100 têtes, l’artiste américain réalise en 1931 ses premiers “montages” à partir de gravures du XIXe siècle. S’ensuit, un an après, sa rencontre avec Man Ray et Lee Miller à la galerie Julien Levy, bastion du surréalisme à New York, qui l’oriente vers la photo et la couleur. En 1933, les films de Luis Buñuel et Salvador Dalí, L’âge d’or et Un chien andalou, lui inspirent le scénario de Monsieur Phot, un photographe en proie à la puissance de son imagination.

Lee Miller, Portrait de Joseph Cornell, © ADAGP

 

Cette proximité avec le mouvement lui vaut l’étiquette de surréaliste. Une étiquette qu’il rejette au nom d’une “magie blanche”, selon lui opposée à l’onirisme noir de ses pairs européens. “Je ne partage pas les théories du subconscient et du rêve chez les surréalistes. J’ai beau admirer en grande partie leur travail, je n’ai jamais été officiellement un surréaliste, et je crois que le surréalisme a la possibilité d’être développé plus sainement.” Au-delà de ce parti pris, l’exposition lyonnaise loge l’originalité de Cornell dans sa série boîtes – marque de fabrique de l’artiste depuis 1920 – dont certaines rendent hommage à des actrices telles que Hedy Lamarr, Jennifer Jones, Lauren Bacall et Marilyn Monroe. Malgré son indépendance revendiquée, Cornell n’a jamais renié sa dette envers le surréalisme.

Frida Kahlo et Diego Rivera : de l’amitié à la passion amoureuse

 

Les bons comptes font les bons amis ? Pas en ce qui concerne Frida Kahlo et son “Dieguito”. Les infidélités chroniques du second ne pouvaient que creuser, au sein du couple, un déséquilibre justifiant son glissement d’un amour empreint d’admiration vers une passion tumultueuse. Ce rapport de force a fini par s’inverser dans le coeur du public dès lors que Frida est devenue l’objet d’un culte, alimenté par la sortie du film avec Salma Hayek, où Diego passe d’ailleurs au second plan. S’y voient relater leur rencontre, en 1923, à la Escuela Nacional Preparatoria où le peintre confirmé peint ses premières fresques murales ; l’accident de bus de Frida, en 1925 ; leur mariage, en 1929 ; leur séparation, en 1939 ; leurs retrouvailles, un an après, jusqu’à la mort. Ce “divorce impossible”, le musée de l’Orangerie tend à l’illustrer en établissant un véritable dialogue entre les toilesde “l’éléphant et de (sa) colombe”.

Nickolas Murray, Portrait de Frida Kahlo Gisèle Freund, Diego Rivera peignant L’”histoire du monde”, Mexico City, 1951

Si tout semble opposer les deux artistes, ils se rejoignent dans leur attachement au Mexique. Célèbre pour ses peintures murales, ses oeuvres cubistes, attestant ses liens avec le milieu artistique parisien, et ses idéaux révolutionnaires, Diego initie Frida, de vingt ans sa cadette, au monde rural indien et à la culture précolombienne. C’est d’abord pour lui que la jeune femme se pare de bijoux et de costumes traditionnels, avant de se représenter ainsi vêtue dans ses toiles. Au contact de sa muse, le pygmalion, lui, s’essaie au portrait. Chantres d’une “mexicanité”, Diego et Frida cherchent avant tout à rendre hommage à la vie. Sous des traits plus graves chez la seconde, toutefois, qui s’impose comme peintre de la passion – au sens propre du terme – ses tableaux évoquant des souffrances, causées par la maladie – poliomyélite, à la naissance ; fractures, fausses couches, dans sa jeunesse, et gangrène dans ses dernières années – et les écarts de conduite d’un mari qui n’a pas hésité à la tromper avec sa propre soeur. L’oeuvre de Frida se lit donc comme un journal intime, alors que celle de Rivera vise à un monumentalisme radicalement opposé. La preuve que les contraires s’attirent, au point de fusionner parfois dans un élan productif.

René Goscinny et Albert Uderzo : de l’amitié à la collaboration

C’est en 1951 que les chemins de René Goscinny et Alberto Uderzo se croisent dans les bureaux parisiens de World Press et International Press. De nombreux points communs facilitent leur première collaboration dans le cadre du magazine féminin belge Les Bonnes Soirées. Tous deux fils d’immigrés, fans de Walt Disney, des Pieds nickelés, et du cinéma burlesque, ils créent Jehan Pistolet corsaire prodigieux, bande dessinée publiée dans La Libre Belgique qui leur commande ensuite Luc Junior. René est renvoyé de World Press. Albert démissionne, par solidarité. Ensemble, ils fondent leurs agences de presse et de publicité, Édifrance et Édipresse, avant d’entamer leur oeuvre pour la jeunesse. Survient alors l’invention de Pilote, un hebdomadaire se réclamant d’illustrations typiquement françaises, pour lequel Albert et René se mettent en quête d’un nouveau personnage.  Albert Uderzo et René Goscinny en compagnie d’Astérix et Obélix, photomontage, Dargaud, 1975 BnF, département Littérature et art © Dargaud

Ainsi est né Astérix, dont la double paternité sous-tend l’exposition que lui consacre aujourd’hui la BnF. Forte de 400 pièces, parmi lesquelles 80 planches originales, des crayonnés, des esquisses, des notes manuscrites, des synopsis et scénarios dactylographiés, cette rétrospective intervient quelques jours avant la parution du 35e album du quatre-mains initié par Uderzo et Goscinny. Elle s’ouvre sur l’enfance et la jeunesse des deux auteurs, avant d’entrer dans le détail de leurs travaux, puis dans leur intimité. “Moi, c’est l’autre”, déclarait Goscinny en 1976. Quelle belle façon de résumer l’osmose qu’il cultivait avec son (con)frère du neuvième art.

 

“Jospeh Cornell” et les surréalistes à New-York” du 18 octobre 2013 au 10 février 2014 au musée des Beaux-Arts de Lyon “Frida Kahlo/Diego Rivera, l’art en fusion” du 9 octobre 2013 au 13 janvier 2014 au Musée de l’Orangerie “Astérix à la BnF” du 16 octobre 2013 au 19 janvier 2014 à la BnF

LePoint