EXPOS-Lynch

Il était une fois David Lynch

Auteur de nombreuses fables, le narrateur David Lynch récidive aujourd’hui en images à la Maison européenne de la photographie.

 

Il y a trois ans, il baptisait son club le Silencio. Et pourtant, sa parole ne cesse de rythmer la vie artistique parisienne. Aujourd’hui, c’est jusqu’aux murs de la MEP que porte la voix du réalisateur américain, à travers une série de clichés relatant si ce n’est son histoire, du moins une histoire, celle que s’imagine chaque spectateur face à son œuvre mystérieuse.

Une porte ouverte à l’imagination

On gravit des marches explicitement qualifiées d’irrégulières. Arrivée au troisième étage. De part et d’autre des escaliers, se profile l’exposition “David Lynch Small Stories”. Par où commencer ? Le cartel d’introduction est très clair : chaque cliché présenté cache une ou plusieurs histoire(s), des petites histoires qui “peuvent se développer jusqu’à devenir de grandes histoires. Tout ça dépend, bien sûr, du spectateur.” Ce qui explique d’emblée la pauvreté des légendes. Hormis un titre, une date, et parfois un numéro, chaque œuvre semble se passer de commentaires, comme s’il incombait aux visiteurs d’écrire leur propre scénario. C’est le principe même de la « coopération interprétative » décrite par Umberto Eco dans Lector in Fabula, par exemple.

DL-Steps

Si l’absence de sous-textes se justifie par le désir d’encourager les intuitions du public, on n’en vient pas moins à regretter le manque d’informations sur les techniques employées. C’est précisément au moment où la question se pose, que la réponse jaillit soudain sur un pan de mur. Les tirages exposés sont de nature “gélatino-argentique, noirs et blancs, sur papier baryté“. On n’est pas beaucoup plus avancé. Ceci dit, on peut enfin laisser libre-court à son imagination.

DL-Technique

De l’autre côté du miroir

Les visiteurs étrangers à l’oeuvre de Lynch sont susceptibles d’appréhender l’exposition comme un miroir où se reflètent à la fois la vie et la mort. Une dualité que confirme l’analyse de quelques titres.

La vie La mort Interprétation
“Hello My Name is Fred” “Window with a Woman

Le prénom masculin Fred s’oppose à l’anonymat réservé aux femmes.

“Man laughing”

“Woman with a gun”

 L’homme semble d’ailleurs être associé à un motif positif, le rire, et le sexe faible au crime, que symbolise le revolver.

Memories of Egypt”

“Memories of Egypt”

 Qui dit mémoire, dit activité cérébrale ; tandis que l’Égypte évoque un champ de pyramides, de tombeaux.

“Still Life”

“Still Life  L’expression revêt la même ambiguité en français et en anglais puisque la nature incarne d’ordinaire la vie qui, en s’arrêtant, devient la mort.

Window with Plant/Flower/Head”

“Arriving somewhere”

 Si la fenêtre inspire un environnement convivial, l’au-delà est pour beaucoup synonyme d’inconnu.

Revenons-en à la fenêtre. Il s’agit, au fond, d’un entre-deux, d’une ouverture entre deux entités contraires, la vie et la mort, la réalité et la fiction, la pensée et le rêve… autant de thèmes éponymes qui traversent l’oeuvre de Lynch en général. Ici, la série Head s’articule dans un désordre quasi onirique, laissant le spectateur suivre sa route au-delà de tout impératif numérique. Le cerveau n’est-il pas tant, à ce propos, le siège de la raison que celui des songes (“Sleeping”, “Dream”) ? Les plus sceptiques s’accrochent dur comme fer à leurs acquis pour percevoir, dans les cinq salles d’exposition, le reflet inversé de certains éléments lynchiens. En ce sens, la femme armée serait le double négatif de Laura Palmer, dont la mort ouvre la célèbre série Twin Peaks. Une photo semble néanmoins asseoir l’interprétation mêlant la vie, la mort et le rêve, “Here Three Things Converge”. Ainsi se brouillent, encore une fois, les frontières du réel, afin de conférer au public le loisir de réécrire l’histoire qu’il est en train de découvrir.

“David Lynch Small Stories”, du 15 janvier au 16 mars, à la Maison européenne de la photographie.

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