SOCIO-Galeries

Les galeries d’art face à l’essor des applications mobiles

Parmi environ deux mille galeries à Paris, près de la moitié demeure réfractaire à l’emploi des nouvelles technologies, et plus particulièrement des applications mobiles, dans l’art. Pourquoi ?

 

Tout d’abord, que faut-il entendre par nouvelles technologies ? Ordinateurs portables, smartphones, tablettes ?… À la question : « quels sont vos principaux outils de communication ? » la plupart des galeristes répondent qu’ils ont fini par adopter un système de mailing, et par s’inscrire sur les réseaux sociaux. Quand on leur demande s’ils sont familiers des sites mobiles, ils renvoient à leur sites internet ; et quand on s’enquiert de leur rapport aux applications, c’est à leur site mobile qu’ils s’en réfèrent cette fois-ci. Un décalage qui tend pourtant à s’estomper.

En effet, si les galeries ont souvent boudé la technique, et vice versa, elles sont aujourd’hui la nouvelle cible de sociétés mobiles spécialisées dans la conception d’applications iPhone ou Androïd. Parmi ces logiciels électroniques, on distingue les applications fédératrices, proposée par Mappy, les Pages Jaunes, entre autres grosses boîtes, des applications individuelles, destinées à un nom, une enseigne. Dans la première catégorie, dominent les annuaires géolocalisés offrant aux utilisateurs la possibilité de visiter virtuellement leurs adresses favorites au travers de photos et de vidéos. Très appréciées par les diffuseurs d’art, l’application Augment s’offre de publier des clichés d’œuvres en 3D. Artsy est une plateforme d’exposition en ligne que les galeries utilisent surtout durant des foires et les salons. Sans compter les logiciels-répertoires favorisant le recensement et le tri des pièces exposées. Malgré une popularité inégale, ces applications s’avèrent en pleine expansion. Reste à savoir ce qui rebutent certaines galeries.

Petits et gros budgets

Si les galeries ont du mal à adhérer aux nouvelles technologies, c’est souvent pour des raisons pécuniaires. En effet, la Gaîté Lyrique ne jouit pas de la même marge qu’une galerie de quartier, telle Immanence, dans le quinzième arrondissement. Pourtant, il existe des sociétés de téléphonie mobile pratiquant des tarifs plus que raisonnables. Si Mappy demande 700 euros afin d’opérer une seule modification sur le site de ses clients, une entreprise comme Phone Site a le mérite de proposer un abonnement annuel de 350 euros/HT et un supplément de deux cents euros environ lorsque ses partenaires lui confient la charge de rentrer leur base de données.

Sourds à la technique vs. Acheteurs aveugles

La plus grande peur des galeristes demeure toutefois la sédentarisation de leur clientèle. « Avant je recevais 300 personnes à un vernissage ; aujourd’hui, je n’en trouve plus que quinze », déplore le directrice de la Galerie Martine Moisan. La véritable question que soulève cette objection est : peut-on réellement acheter une œuvre sans l’avoir appréciée, physiquement, au préalable ? « Trop aléatoire. On ne fait pas du shopping. Les gens que nous accueillons sont généralement des connaisseurs qui savent ce qu’ils cherchent », rétorque le responsable de la Galerie Thaddaeus Ropac. « On ne vend pas des œuvres d’art comme on vend des CDs à la FNAC » (Air de Paris).

Et pourtant, à la surprise générale, l’acquisition de pièces contemporaines sur la foi d’un support numérique fait de plus en plus d’adeptes. Selon une étude récente du cabinet de recherche ArtTactic, réalisée pour l’assureur spécialiste Hiscox, 71% des collectionneurs rapportent avoir fondé leurs choix sur une image en ligne, tandis qu’un quart se dit prêt à débourser 50 000 € par ce biais. Inversement, 89% des galeristes s’étonnent et se réjouissent de ce que leurs collections parviennent à se vendre en un clic. Pareille pratique comporte un risque : celui de voir se multiplier les achats « à l’aveugle ». Jonas Almgren, CEO d’Artfinder, plateforme de commerce artistique en ligne, déclare que 14% de ses clients finissent par remettre leurs sélections entre ses mains, à peine deux mois après leur première expérience.

Générations (dés)enchantées

Dans la mesure où cette tendance touche le monde de l’art contemporain, l’argument d’un clivage s’impose comme une évidence, l’art classique étant, dans la pensée commune représentée par des galeristes poivre et sel ; et l’art moderne, par de jeunes arrivistes qui mettent partout leur grain de sel. Au refus de changer des habitudes longuement ancrées répond la crainte de heurter une clientèle avancée en âge. C’est du reste l’argument du galeriste de l’Atelier 17 justifiant son désintérêt pour les applications mobiles par une sympathie pour les vieux collectionneurs qui lui rendent visite. Quant au responsable de Galerie Maurice Garnier, par exemple, « on est implantés depuis des années ici, on a une façon de travailler qui n’a nul besoin d’être altérée. À cet odieux personnage on est tenté de demander si le bouche-à-oreille suffit de nos jours. Probablement, pas.

Toutefois, âge et conservatisme ne vont pas forcément de pair. « Le fait que ce nouveau canal de commerce de l’art soit de plus en plus accepté ne peut être qu’une bonne chose, et nous voyons arriver sur le marché de nouveaux acteurs issus de tout un éventail de pays, de tous âges et niveaux de prix », stipule Robert Read, Head of Fine Art pour le groupe Hiscox. Si 72% des ventes en lignes sont le fait de jeunes amateurs over-connectés, le rapport indique que 55% des sondés dans la tranche des plus de 65 ans achètent des œuvres d’art directement en ligne. Alors à quand les expositions sur petits et grands écrans ?