SOCIO-Legs

L’art en scène #1

Le beau Legs

 

Alors que Fragonard et Watteau s’exposent à Jacquemart-André, le Théâtre de Poche-Montparnasse plonge l’oeuvre de Marivaux dans l’esprit des fêtes galantes.

 

Hortense aime le chevalier, et réciproquement. Elle est toutefois promise par testament au Marquis, lequel n’a d’yeux que pour la Comtesse, et vice versa. Celui-ci peut se soustraire à ses obligations, moyennant la maudite somme de 200 000 francs. Le cœur ou l’épargne ? Tel est le dilemme que pose Marivaux en 1736, et que nourrit aujourd’hui Marion Bierry de sonnets ronsardiens fusionnés à des mélodies schubertiennes. De trois pierres, un coup ; un coup de théâtre réussi dans l’adaptation de ce grand classique de la littérature française

 

Fragonard en pièce

L’intrigue se déroule à la campagne. Un parti pris qu’assume la metteur scène en avouant avoir extrapolé, en ce sens, les didascalies. « Je ne sais pas vraiment pourquoi, j’ai toujours pensé monter le Legs (prononcé “laid”, NDLR) en plein air. L’histoire m’évoque un paysage bucolique et champêtre, pavé de rochers et d’herbes folles ». Un paysage qui se prête à quelque badinage, pour ne pas dire fête galante.

Il suffit de comparer le décor planté par Nicolas Sire au premier étage du Poche, à quelques tableaux exposés au Musée Jacquemart-André pour en convenir. Contrastée par la représentation d’une immense jarre en pierre (à gauche de la scène), la végétation à la fois généreuse et vaporeuse qui se profile en toile de fond soutient la fiction, le rêve et la séduction se jouant entre les trois couples du Legs. Le premier tête-à-tête entre Lisette et Lépine, par exemple, fait penser à la Fête Galante avec la Camargo dansant avec un partenaire de Nicolas Lancret (voir ci-dessous). De même, la posture lascive des « marivaudeurs » n’est pas sans rappeler l’attitude frivole de certains personnages fragonardiens.

Nicolas Lancret, Fête Galante avec la Camargo dansant avec un partenaire, vers 1727-1728, huile sur toile, National Gallery of art, Washington,  Andrew W. Mellon collection

Nicolas Lancret, Fête Galante avec la Camargo dansant avec un partenaire, vers 1727-1728, huile sur toile, National Gallery of art, Washington, Andrew W. Mellon collection

 

Un art total

Une artiste totale, surtout car, quoique elle s’en défende, Marion Bierry peut se targuer d’avoir adapté les poèmes de Ronsard à la musique de Schubert, et les lieder du compositeur allemand à la poétique de Marivaux, en scandant les vers français selon la rythmique allemande ; d’avoir dessiné et confectionné les costumes elle-même ; et de jouer le rôle d’Hortence.

Dans cet ensemble harmonieux, on distingue pourtant deux duos. Si l’aisance de Valérie Vogt (La Comtesse) et de Bernard Menez (Le Marquis) sur scène n’a d’égal que leur expérience, la fraîcheur de la soprano Estelle Andrea (Lisette) et de Sinan Bertrand (Lépine) se ressent jusque dans la justesse de leur voix. Pas une fausse note à l’horizon, et cela vaut pour toute la pièce.

 

Le Legs de Marivaux, Théâtre de Poche-Montparnasse, Paris