EXPO-Faces

Bozar à double face

Elles traitent d’époques différentes, de techniques différentes, dans des proportions et des scénographies différentes. Et pourtant, les nouvelles expositions du BOZAR de Bruxelles peuvent se lire comme les deux chapitres d’un seul et même livre. Ne partagent-elles pas la même affiche ? Fendue en deux comme les atouts de certains jeux de cartes. Leur point commun : l’art du portrait. Du XIVe au XVIe siècle, aux Pays-Bas, pour Faces Then ; de nos jours, en Europe, pour Faces Now. On est tenté de commencer la visite à droite de l’escalier principal, dans l’ordre chronologique, alors que le sens du parcours importe peu. Or le meilleur moyen de résister à une tentation, c’est…

Et alors ?

Une lumière tamisée éclaire des cimaises de couleurs. Question de conservation. Bleu, rouge, ocre…. La palette royale par excellence car, au XIVe siècle, le portrait se voulait l’apanage des saints et des souverains. Ce n’est qu’au XVIe siècle que les Pays-Bas, décor de cette première partie, ouvrent le genre à la bourgeoisie. Démocratisation qui s’accompagne d’une véritable stylisation. Aux fonds unis, austères, se substituent progressivement des paysages luxuriants, reflets d’humeurs diverses. La confrontation du Portrait d’un homme vu de profil (1513) de Quentin Metsys et de l’Autoportrait (1530-40) de Simon Bening, par exemple, illustre bien cette double évolution. Dans le premier tableau, le profil de Cosimo di Giovanni de’ Medici, à moins qu’il ne s’agisse du duc Philippe le Hardi – les historiens hésitent encore -, se découpe sur un aplat blanc. Le second arbore au contraire une nature verdoyante à l’arrière plan. Dans la salle suivante trône une large borne bordeaux, canapé circulaire caractéristique de l’époque étudiée. Ainsi se poursuit notre voyage dans le temps. La psychologie des modèles ressort au fil des toiles accrochées, comme en témoigne le Portrait d’un homme barbu au béret noir (vers 1530). Les mains du personnage attirent immédiatement le regard. L’une ajuste son couvre-chef ; l’autre, détient une bourse lourde de pièces d’or. L’artiste, Ambrosius Benson, aurait été contraint de les repeindre à la demande du propriétaire, sûrement soucieux d’inspirer le respect. La tendance est lancée : d’un réalisme pur et dur, dictant aux portraitistes de figurer l’homme conformément à l’apparence qu’a voulu lui donner Dieu, c’est-à-dire en respectant les dess(e)ins de la Création, on passe à des représentations idéalistes. A cet égard, L’Autoportrait (1558) d’Anthonis Mor, est une référence pertinente. L’artiste met tout en oeuvre pour se mettre en valeur. Vêtu d’un élégant costume, il fixe le spectateur avec assurance comme pour revendiquer son statut de peintre érudit. Le poème en grec qui surmonte sa palette conclut « Mor… parle ». Et pour cause, on le dirait prêt à dérouler un discours. Aussi le portrait, vecteur d’un individualisme croisssant, est-il progressivement devenu une forme de levier social.

faces-1Simon Bening, Autoportrait à l’âge de 75 ans, 1558

Et maintenant ?

Changement d’échelle, de siècle, de lumière, et surtout de support. Faces Now s’étire sur sept salles aux murs immaculés. Adieu gravures et huiles sur toiles, ici la photographie est à l’honneur, soit trente-deux artistes ayant contribué au renouvellement de l’art du portrait, en Europe – et non plus seulement aux Pays-Bas – au cours de ces deux dernières décennies. Les clichés sélectionnés se déclinent cette fois-ci en séries. Plutôt qu’une rupture, ces flagrantes différences ménagent une relative continuité avec l’exposition précédente. Les références à la Renaissance sont omniprésentes. Du bourgeois figé, la sphère du portrait s’est élargie aux passants, quoique l’attitude de certains évoque le hiératisme recherché par les peintres classiques. Debout, de trois-quarts, la Simone Veil de Christian Courrèges adopte la pose d’un conquérant des anciens temps. Les paysages en toile de fond s’urbanisent. Denis Darzacq braque son objectif sur des motards tandis que Boris Mickailov va à la rencontre des sans-abris ukrainiens. L’exploitation de la rue comme décor ou studio pose aussi la question du consentement. Si la noblesse du XVIè demandait à être portraiturée, de nos jours, il arrive très souvent que l’on soit photographié à son insu. C’est le cas des inconnus ciblés par Beat Streuli ou de Luc Delahaye. Parmi les volontaires, en revanche, certains contribuent activement à la mise en scène d’un cliché. Thomas Struth, par exemple, donne carte blanche aux familles qu’il sollicite. Cette liberté surprend : traditionnellement c’est l’artiste qui façonne son modèle.

faces-2Beat Streuli, Bruxelles, 2007

Ainsi, dans cette exposition, chaque clin d’oeil au passé nourrit une quête d’identité nouvelle, non plus celle d’une classe, d’une nation, mais bien celle d’une communauté unie dans la diversité. N’est-ce pas le propre de l’Union européenne, berceau des clichés présentés ? Enfin, dans ce jeu de miroirs et d’échos, le spectateur joue un rôle primordial. C’est à travers son regard que le portrait prend sens, prend vie. Encore faut-il que la contemplation soit consentie. Au Bozar, où Faces Then et Faces Now dialogueront jusqu’au 17 mai. A bons entendeurs-lecteurs…

 “Faces then / Faces now”, du 6 février au 17 mai, Bozar de Bruxelles.