Budapest

The Best of Budapest

L’exposition qui ouvrait avant-hier ses portes au musée du Luxembourg comporte des chefs-d’œuvre dont la beauté seule ne pouvait a priori servir de fil conducteur. Et pourtant…

La restauration de prestigieuses galeries hongroises se trouve à l’origine des prêts exceptionnels dont bénéficie en ce moment l’institution parisienne. La scénographie française souffre toutefois d’une discontinuité voulue. « Pour combattre le soupçon d’une exposition un peu plate, nous avons procédé à des rapprochements inattendus entre certains artistes », explique d’emblée le commissaire Laurent Salomé. À ces mots, une question s’impose. POURQUOI ? Changer le cours de l’histoire pour changer le cours histoire, soit pour atteindre à  quelque originalité, ne sert à rien – à supposer que l’art serve à quelque chose, ce qui n’est pas l’avis de tout le monde. Il fallait, soit suivre fidèlement la chronologie des toiles, quitte à glisser quelques interprétations dans les cartels ; soit la chambouler de fond en comble et, par conséquent, aller plus loin dans les anachronismes. Après une salle consacrée au Moyen Âge, une autre à la Renaissance germanique, puis au Cinquecento, à un “nouvel élan religieux”, et à l’âge d’or hollandais – au détriment des flamands, exprès -, survient une section fourre-tout intitulée « Caractères », laquelle réunit des portraits, toutes époques confondues. La grande fierté du musée du Luxembourg consiste à avoir mis en regard un tableau d’Édouard Manet, La Dame à l’éventail, avec trois peintures de Francisco de Goya. Persistons et signons : ce soubresaut thématique dilue le propos de l’exposition.

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Édouard Manet, La Dame à l’éventail ou La maîtresse de Baudelaire, 1862

C’est fort dommage car les thèses distillées au fil de la visite présentaient un grand intérêt. « La fusion des toiles issues du musée Beaux-Arts de Budapest et de la Galerie nationale hongroise rend compte du regard que jette l’Europe de l’est sur l’histoire de l’art occidentale ». Soit. Alors pourquoi ne pas mettre l’opposition est-ouest en avant ? « Nous n’avons pas souhaité transposer la salle française dans son intégralité, afin de laisser dialoguer en permanence des artistes hongrois et étrangers ». Ce parti pris aurait également gagné à être souligné à chaque étape. L’exposition offre l’opportunité de faire la connaissance de peintres locaux, tel Mihaly Munkacsy, dont on ignorait jusqu’à présent l’existence et, par ricochet, le talent. Ce genre de découverte lance des pistes réflexion à creuser une fois chez soi. En ce sens, le musée ne s’est pas complètement fourvoyé.

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Mihaly Munkacsy, L’apprenti bâillant, 1868

« La beauté sauvera le monde ». Merci, Dostoïevski. Ici, elle sauve l’exposition. Qui dit sélection, dit choix. Approuvée par le public, la subjectivité du musée tend vers l’universalité. Connues, méconnues, ou tout à fait inconnues, les œuvres rassemblées méritent pour la plupart le titre de chefs-d’œuvre. Chacune finit par révéler sa valeur esthétique. On s’extasie aussi bien devant Le Christ en croix de Véronèse que devant  l’Ange au crâne et au serpent d’un anonyme hongrois. On se dit finalement que la mode du story telling qui sévit aussi bien dans la presse que dans les affaires, est responsable des écarts que l’on pardonne volontiers au musée. Quel mal y a-t-il à rester classique, surtout quand on présente des toiles pour la plupart académiques ? Structurées dans un carcan, les idées sont souvent plus claires qu’égrenées au gré du vent. En l’occurrence, il n’était pas impossible de raconter des anecdotes, des histoires en s’appuyant sur l’Histoire de l’art. Et il y a les légendes pour céder à la narration. On ressort avec l’envie pressante d’acheter deux ou trois cartes postales. N’est-ce pas ce le plus important, au fond ?

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Doménikos Theotokopoulos, dit Greco, Marie Madeleine pénitente, 1576

 

Chefs-d’œuvre de Budapest, du 9 mars au 10 juillet. Musée du Luxembourg, Paris.