EXPO-Durand-Ruel

Paul Durand-Ruel en duel

Une partie des collections du célèbre marchand d’art investit aujourd’hui les salles du Musée du Luxembourg. Portrait d’un homme paradoxal.

 

C’est le qualificatif-pivot du premier cartel d’exposition. Visionnaire au grand flair en matière d’art, Paul Durand-Ruel (1831-1922) revêt aussi les statuts de bourgeois, veuf, catholique et monarchiste. Pourtant nul conflit ne semble avoir jamais éclaté entre ses opinions politiques, religieuses et artistiques. À ce pseudo duel idéologique, répond le combat de toute une vie, puisque le galeriste n’a jamais cessé de promouvoir la peinture impressionniste à travers le monde.

Un faux conflit intérieur

Ce qui aurait pu être un critère discriminant n’a jamais été retenu par Paul Durant-Ruel. Ce « vieux chouan », ainsi que le surnommait Pierre-Auguste Renoir (1841-1919), ne laissait pas son orientation politique entraver sa vision de l’art. D’où son soutien au communard Gustave Courbet (1819-1877), à l’anarchiste Camille Pissarro (1830-1903) ou encore aux républicains, presque homonymes, Edouard Manet (1832-1883) et Claude Monet (1840-1826).

Contraint à la fuite lors de la guerre franco-prussienne et de la Commune, le collectionniste français gagne Londres, en 1870, où il ne cesse de pratiquer son activité. L’exil s’avère finalement salutaire puisque Durand-Ruel fait, à travers le graveur Charles-François Daubigny (1817-1878), la connaissance de Monet et de Pissarro. Les deux artistes avaient déjà exposé au Salon à Paris la décennie précédente, mais le marchand expatrié tombe amoureux de leurs représentations lumineuses de la capitale anglaise. À son retour, Alfred Sisley (1839-1899), Edgar Degas (1834-1917) et Berthe Morisot (1841-1895) retiennent son attention, au point d’être rassemblés au sein d’une première exposition collective, chez le photographe Nadar (1820-1910), en 1874.

 

L’avocat du diable impressionniste

Ainsi naît l’impressionnisme, un courant peu apprécié en son temps et que Durand-Ruel défendra becs et ongles toute sa vie durant. Dès 1876, le “vieux chouan” lui consacre une exposition dans sa galerie. Une manifestation dont l’écrivain Théodore Duret (1838-1927) pensait qu’elle allait « attirer l’attention et [être] décisive pour l’ennemi ». L’ennemi, à savoir la critique favorable à la peinture académique. Le primat de cette dernière explique le barrage que formaient les institutions françaises face à l’impressionnisme. Le musée des beaux-arts de Lyon est le premier à solliciter Paul Durand-Ruel pour l’acquisition, en 1901, d’une toile de Renoir intitulée Femme à la guitare. Les réticences de la commission d’acquisition poussent le maire de la ville à s’exprimer sur ce tableau qu’il juge digne d’être exposé dans un musée public. Autre tactique de Durand-Ruel pour imposer ses idées : il organise des expositions individuelles de Boudin, Monet, Pissarro et Sisley. Conspué par certains artistes, ce concept personnalisé, inédit en France, tend à crédibiliser une peinture encore injustement contestée.

« Je travaille avec une ardeur que vous ne soupçonnez pas pour recruter de nouveaux amateurs et chauffer les autres. Je gagne du terrain chaque jour (…) et nous finirons bien par triompher », écrivait l’expert à Claude Monet, le 15 janvier 1886. Durand-Ruel ne croyait pas si bien dire sachant qu’il remporte, au même moment, ses premières victoires à l’étranger. Ses fils et lui exportent des œuvres à Londres, à Berlin et à Boston, en 1883, puis en 1886, à New York, où il finit par ouvrir une galerie. À cet égard, la conquête des États-Unis marque un véritable tournant dans l’entreprise du marchand. Durand-Ruel traite avec des amateurs fortunés, dont les Havermeyer à NY, les Palmer à Chicago ou encore Alexander Cassatt, le frère de Mary, à Philadelphie. En 1905, se voient réunies aux Grafton Galleries de Londres plus de 300 œuvres de son mouvement fétiche. Il s’agit sans doute de la plus grande exposition impressionniste – quantitativement parlant – jamais organisée. Quelle meilleure façon pour le musée du Luxembourg de conclure que sur ce brillant succès ?

 

« Paul Durand-Ruel. Le pari de l’impressionnisme », du 9 octobre au 8 février 2015, au Musée du Luxembourg, Paris

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